Il est nu le divin enfant : Église catholique et pédophilie

Le bal des hypocrites

S’il y avait une croyance encore plus dévoyée que celle envers un prophète pédophile ayant vécu il y a 14 siècles, ce serait celle envers une religion qui offre à l’heure actuelle et au niveau mondial l’impunité à ses représentants pédophiles, les conséquences des abus sexuels allant jusqu’au suicide des victimes. Cela se passe notamment en France et sans nul doute en ce moment même.

Très tardivement, en février 2015, le pape François a ordonné au clergé de ne plus jamais étouffer les scandales de pédophilie au sein de l’Église, mais on ne peut que constater que les enquêtes canoniques restent confidentielles, et que les chiffres connus de révocation de prêtres pédophiles sont bien faibles quand on les compare à l’estimation faite en 2009 par le cardinal brésilien Claudio Hummes de 20.000 prêtres pédophiles : en 2008-2009, seuls 170 religieux ont été destitués, et 400 en 2011-2012.

Il est toutefois des habitudes qui ont la vie dure, notamment celles d’étouffer les affaires de manière coupable, si ce n’est complice. Il ne faut pas remonter plus loin que l’exemple du pape précédent, Benoît XVI, alias Josef Ratzinger, qui avait passé sous silence une affaire pédophile et accueilli un prêtre responsable d’abus sexuel sur mineur dans son archevêché de Munich, évitant le scandale en faisant porter le chapeau au vicaire général de l’époque.

La preuve par l’exemple : l’abbé Pierre Dufour

Une première victime se fait connaître, mais l’abbé est protégé par l’archevêque Feidt.

Les actes pédophiles n’engagent que rarement la responsabilité d’une seule personne. Le plus souvent c’est aussi la chaîne hiérarchique qui est en cause, a minima responsable de non-dénonciation, et parfois même les paroissiens. Il est à ce jour peut-être plus prudent de confier ses enfants à un ancien détenu qu’à un prêtre. Prenons l’exemple instructif de l’abbé Pierre Dufour qui a sévi durant quarante ans d’Aiguebelle à Saint-Jean-de-Maurienne.

Tout commence lorsque Sébastien Gilodi est confié par ses parents à l’abbé Dufour au lycée de Saint-Jean. Lors d’un trajet en voiture avec Sébastien, Dufour le fait parler de masturbation, lui dit que les mères abusent toujours de leurs fils, et lui pose une main sur l’entre-jambes. Très sensible et traumatisé par cet évènement, Sébastien obtient des notes de plus en plus mauvaises, tombe en dépression, et lorsqu’il revient chez ses parents, réclame qu’on pose un verrou sur la porte de sa chambre. Il tente une première fois de se suicider. Ses parents retrouvent dans sa chambre un crucifix où Jésus est détaché de sa croix.

Lorsque leur fils leur avoue la raison de sa dépression, ils vont informer Monseigneur Claude Feidt, alors archevêque de Chambéry, mais celui-ci réfute en bloc les affirmations du jeune Sébastien : il connaît Pierre Dufour depuis longtemps car ils ont fait l’armée ensemble, les faits rapportés lui semblent impossibles et il conclut en affirmant que le jeune homme a menti et qu’il allait prier pour eux.

Après la deuxième tentative de suicide de Sébastien Gilodi, ses parents portent plainte mais ni la gendarmerie, ni la justice, ni les autorités catholiques ne réagiront de quelque façon que ce soit. L’affaire est classée sans suite par le Procureur de la République qui n’aura même pas pris la peine d’auditionner Pierre Dufour. Les paroissiens soutiennent d’ailleurs en majorité l’abbé Dufour. Bien au contraire, malgré les accusations, l’archevêque Claude Feidt finira par offrir une promotion à son ami Dufour, en le nommant vicaire épiscopal à Saint-Jean-de-Maurienne.

Une deuxième victime se déclare, mais la gendarmerie enterre l’affaire.

Puis c’est au tour d’un SDF de déplorer des relations sexuelles forcées avec l’abbé Dufour qui l’avait hébergé, non seulement auprès de la gendarmerie qui ne réagit toujours pas malgré sa description d’une cicatrice sur le bas-ventre de Dufour, mais également après du père Brunetti. Ce dernier ne le prend pas au sérieux, mais après plusieurs mois d’insistance il en parle à l’archevêque Feidt qui persiste à faire confiance à Dufour.

Cinq ans après la première, la troisième tentative de suicide de Sébastien Gilodi lui est fatale. Il meurt à 21 ans. La gendarmerie réagit enfin, et rouvre le dossier du SDF qui lui-même avait essayé de se suicider un an plus tôt, mais n’avait pas voulu porter plainte malgré ses accusations. La gendarmerie questionne les paroissiens qui pratiquent alors une véritable omerta, malgré les rumeurs nombreuses.

Lorsqu’il est enfin auditionné une première fois, ce n’est qu’en qualité de témoin, c’est-à-dire libre et non en garde à vue, et à 70 km de Sain-Jean-de-Maurienne, à Chambéry, afin de préserver sa réputation, sur ordre du Procureur de la République de Chambéry. Il ne reconnaît rien d’autre que d’avoir parlé de sexualité à Sébastien car il est un « curé moderne ». Par ailleurs, il explique la connaissance par le SDF de sa cicatrice par le fait qu’il n’ait jamais caché avoir été opéré de la prostate. Il repart sans que rien ne soit retenu contre lui.

Une troisième victime apparaît, mais l’abbé est protégé par le Procureur de la République.

Six ans après le suicide de Sébastien Gilodi, le nom de Dufour revient : Julien Donadio vient porter plainte contre l’abbé. Il l’a rencontré quelques jours plus tôt dans le cloître pour lui confier ses difficultés après avoir subi un viol. Dufour lui explique que pour réparer cette situation, il lui faut coucher à nouveau avec un homme. Puis il a forcé Julien Donadio à se déshabiller et à coucher avec lui : « C’est pas moi qui t’embrasse, c’est pas moi qui te touche, c’est dieu ».

Entendu à nouveau après la plainte de Donadio, le SDF reconnaît ne pas avoir déposé plainte parce qu’il avait reçu de l’argent de Dufour (5300 francs en 1999). Thierry Prévost, Chef de brigade en charge de cette affaire, rencontre la résistance de son supérieur hiérarchique, le Commandant de la compagnie de Saint-Jean de Maurienne, qui a des relations privilégiées avec Dufour du fait de ses convictions religieuses, et en parle donc directement au Commandant du groupement départemental, le Lieutenant-colonel Thierry Cailloz, qui a dû délocaliser l’affaire et exiger du Commandant de ne pas intervenir.

Après deux enquêtes préliminaires classées sans suite en 1993 et 1997, une information judiciaire contre X est ouverte en juin 2003 pour viol et agression sexuelle aggravée.

La double vie de l’abbé est mise à jour.

Le presbytère est mis sur écoute. On découvre la double vie de Pierre Dufour. Par exemple, un jeune homme se prostituant à Saint-Jean-de-Maurienne offre ses services à Dufour. Les mandats postaux effectués par Dufour permettent de découvrir de nouvelles victimes et deux nouveaux témoignages sont obtenus. Il s’agit de deux agressions sexuelles contre des hommes, une récente, une autre remontant à une trentaine d’années lorsque la victime était mineure.

En décembre 2003, une perquisition est enfin effectuée au presbytère. Sous le regard impassible de Dufour, les forces de l’ordre trouvent des reconnaissances de dettes, plusieurs milliers de francs en liquide disséminés ça et là, des talons de mandats cash, des écrits peu équivoques, un bar bien rempli par les bouteilles d’alcool, des cassettes vidéo traitant d’homosexualité, et pour couronner le tout, un godemiché et un tube de vaseline dans la chambre de l’abbé.

Pierre Dufour est placé en garde à vue. Il reconnaît enfin son homosexualité puis petit à petit son agression sur le SDF. Quant aux personnes concernées par les mandats, il prétend qu’elles étaient consentantes. À la quatorzième heure de garde à vue, il se met à parler d’enfants, d’agressions sexuelles à leur encontre, et indique que leur nombre est tel qu’il ne peut en donner les noms. Il donne toutefois le nom de deux mineurs agressés il y a trente ans, mais nie l’agression envers Sébastien Gilodi : il n’aurait mis sa main que sur son genou, mais pas son sexe.

Dufour passe sa première nuit en cellule. Le second jour, il continue à révéler ses agissements mais commence à se plaindre d’une douleur abdominale. La garde à vue est donc interrompue et Dufour est déféré devant la juge d’instruction Hélène Gerhards qui lance un appel à témoins dans la presse, l’abbé n’ayant opportunément fourni des noms que pour des faits prescrits.

L’affaire étant révélée, certains prêtres tentent comme ils peuvent de justifier leur silence : ils n’avaient eu vent que de rumeurs qu’ils ne prenaient pas en compte. Pourtant, l’abbé Dufour dit avoir raconté ses agissements à ses confesseurs qui se sont contentés de lui dire de consulter pour se faire soigner, tout en gardant le secret pour eux.

L’abbé donnait des cours très particuliers de catéchisme.

L’appel à témoins libère la parole. Ainsi, Patrick Recrosio y répond alors qu’il n’avait jamais osé parler, de peur de n’être pas pris au sérieux. Il raconte que l’abbé Dufour donnait des cours de catéchisme à la fin desquels il appelait la vingtaine d’élèves un par un dans une pièce où il s’adonnait à des attouchements sur eux. Il offrait aux enfants obéissants une petite médaille représentant Jésus en échange de leur silence.

Pascal Bouvier fournit également un témoignage choquant. Passant ses vacances dans la vallée de la Maurienne, il est pris en stop par l’abbé. Étant croyant, il croit bon de lui faire une confidence, il lui raconte donc qu’il avait été victime à 11 ans d’une agression sexuelle dans un centre de vacances par le directeur de l’établissement. Dufour lui demande alors des détails sordides puis lui propose de passer la nuit chez lui, ce qu’il accepte. Durant la nuit, Dufour tente de procéder à des attouchements sexuels sur Pascal, mais ce dernier trouve la force de le repousser et part sans mot dire le lendemain.

Les nombreuses victimes qui répondent à l’appel à témoins confirment le mode opératoire de ce prédateur sexuel : mise en confiance, passage à l’acte en voiture ou à domicile, menaces et dons pour obtenir le silence. Malheureusement de nombreux faits sont prescrits, et sur la centaine de personnes entendues par la gendarmerie, seule une dizaine admettent avoir subi un viol.

À la fin, il ne subsiste que 5 parties civiles, le dossier de Sébastien Girodi n’étant pas retenu faute de charges suffisantes : 4 pour viol, 1 pour agression sexuelle, aggravés car commis en abusant de l’autorité conférée par la fonction sur des personnes fragiles.

Le 22 mai 2006, deux ans et demi après son arrestation, le procès de l’abbé Pierre Dufour s’ouvre. Il a désormais 71 ans et certains habitants très croyants de la vallée de la Maurienne viennent le soutenir malgré la présence des victimes dans la salle. Lorsque Jérôme Martin, un séminariste dont il avait la responsabilité, témoigne des sévices qu’il a subis, l’avocate générale demande à Dufour ce qu’il a à lui dire. Dufour rétorque : « je lui pardonne ».

Après 4 jours de procès, l’avocate générale réclame 15 ans de réclusion criminelle, sur un maximum de 20 ans. La cour d’assises de Savoie le condamne à 15 ans de réclusion criminelle avec une peine incompressible des deux tiers. En prison, Dufour reçoit encore les lettres et les visites de nombreux soutiens. Bien qu’il ne puisse plus célébrer la messe, Pierre Dufour est toujours prêtre et n’a pas été excommunié.

Pour ses bons et loyaux services rendus à l’Église, Monseigneur Feidt est depuis 2010 archevêque émérite d’Aix-en-Provence et Arles.

Addenda

De manière prévisible, cet article a commencé à recevoir sur Facebook les commentaires outrés de croyants qui se sentent agressés mais qui n’ont sans doute pas lu l’article, trop long pour leur tolérance à l’autocritique. Il s’agit d’un étrange retournement de situation, car il est fait plus grand cas de la susceptibilité des croyants que du sort des victimes de la pédophilie.

L’article est pourtant factuel et relate des événements connus et confirmés par de nombreuses sources ; il ne limite pas la pédophilie au monde catholique ce qui serait stupide, mais il pointe du doigt le déni — que les commentaires postés ici ne font que confirmer — et la gestion calamiteuse et laxiste de ce problème par l’Église. Quant aux excuses officielles présentées sous le feu des projecteurs et la pression de l’opinion publique, elles n’ont pas plus de valeur qu’un communiqué de presse rédigé par un communiquant et mandaté par une grande entreprise pour désamorcer une crise suite à un scandale.

Enfin, en réponse aux accusations d’acharnement envers la religion catholique, nous invitons chacun à se comporter comme saint Thomas et à consulter le reste du site France Laïque avant de proférer des critiques génériques. Si un unique article suffit à produire un acharnement comme il nous en est fait le reproche, nous sommes chanceux de ne pas vivre sous l’Inquisition.